Transsibérien
le voyage avant la destination
Partie 2
Cet article est la suite et fin du premier article sur le Transsibérien : partie 1/2. Je vous invite à lire le premier avant de continuer votre lecture ici !
Temps de lecture estimé : 8 minutes
Il m’a fallu 2 semaines pour atteindre l’Oural, frontière naturelle entre l’Europe et l’Asie. En allant de Kazan à Ekaterinbourg, je me rends pour la première fois de ma vie en Asie. Au fur et à mesure, je vois les visages changer. La peau devient plus bronzée, les yeux se plissent légèrement. C’est intéressant à observer en tant que voyageur car je trouve qu’on voit le phénomène se dérouler lentement devant nous.
Le 28 avril 2017, lendemain de mon anniversaire, je monte dans le train vers Ekaterinbourg et l’aventure continue !
Trajet Kazan-Ekaterinbourg : Marsel
Distance : 950 km – Durée du trajet : 13h
Sur le trajet jusqu’à Ekaterinbourg, je tombe sur Marsel et ses amis. Ce groupe de potes est très enthousiaste à propos de mon voyage et ils sont tous très agréables avec moi. En descendant, ils me souhaitent bon courage et nous prenons une photo ensemble.
Je suis venu spécifiquement en Russie pour défaire mon apriori sur le peuple Russe, que je ne connais pas mais qui m’a toujours semblé bourru. Grâce à des rencontres comme Marsel, mon avis change petit à petit.
Ekaterinbourg : les 4 Fantastiques
Je me retrouve seul à Ekaterinbourg, 1500km à l’est de Moscou. Comme depuis le début, je séjourne dans une auberge de jeunesse. Je tombe sur un groupe de 4 russes en week-end : 2 dames de 45 ans avec leur fille respective.
Comme je suis tout seul, elles me proposent de me joindre à elles et j’accepte. Le détail, c’est qu’aucune ne parle Anglais. J’ai pris l’habitude de communiquer avec Google Traduction pour des courtes interactions mais une journée complète c’est un autre challenge.
Au final, on a un bon feeling et je me permets d’aborder un sujet politique. A l’époque, on parle du fait que la Russie vient d’annexer la Crimée, en 2014. Je demande à l’une des dames si elle y est déjà allée et ce qu’elle pense de cette région. Je lui glisse avec un sourire que je pensais que c’était une zone appartenant à l’Ukraine. Elle m’apprend qu’il s’agit d’un cadeau que la Russie a fait à l’Ukraine par le passé mais que c’est une région Russe. Moyennement convaincu par cette explication mais totalement inculte sur le sujet, je choisis de ne pas insister car elles sont vraiment adorables avec moi.
Tout au long de la journée, elles m’apprendront des choses sur la Russie y compris quelques mots de vocabulaire. A la fin, je savais dire : Salut, merci, chien et chat.
Trajet Ekaterinbourg – Novossibirsk : Maya
Distance : 1600 km – Durée du trajet : 18h
Grâce à mon fidèle compagnon de voyage Google Traduction, j’ai pu sympathiser avec Maya, une Russe d’une cinquantaine d’années. Elle voyage en train pour rejoindre sa famille à Ekaterinbourg. Rapidement, elle me propose du thé et me demande ce que je fais tout seul dans ce grand pays. Je lui explique que je suis étudiant et que je voyage car je suis curieux de découvrir différentes cultures. Comme elle semble assez bavarde, je tente une nouvelle fois d’aborder le sujet sensible : « éh à part ça, t’en penses quoi de la politique toi ? » oupsi.
Le jeune homme rencontré quelques semaines auparavant avait raison : c’est le sujet tabou. Très vite, Maya se ferme et me demande si je suis journaliste. Je lui répète ma version : je suis un étudiant curieux, rien de plus. Rien n’y fait, je n’aurai pas de réponse, et le thé c’est terminé. Heureusement que le trajet ne dure pas 20 heures. Ah, bah si en fait. Les joies du Transsibérien, et ce n’est même pas mon tronçon le plus long.
Novossibirsk : Kathrin
Novossibirsk est la plus grosse ville de Sibérie et 3ème plus grosse ville de Russie. Très honnêtement, ça ne casse pas 3 pattes à un canard quand on est allé à Moscou et Saint-Pétersbourg.
La chose qui a le plus suscité mon attention dans cette ville se trouve au zoo. Oui, je sais, le zoo est une aberration et moi aussi je suis contre le fait d’enfermer des animaux sauvages dans des cages trop petites pour eux. N’empêche que je suis à 6000 km de chez moi, dans le plus grand pays du monde, donc je me dis que je dois pouvoir découvrir des espèces inconnues pour moi, qui changent des animaux qu’on peut voir en Europe. Sur Internet, je vois que ce zoo est censé avoir une espèce quasiment unique au monde : un ligre, croisement entre un lion et un tigre.
Honnêtement, j’ai été stupéfait par le nombre de félins différents dans ce zoo. On les trouve de toutes les tailles, toutes les couleurs, avec des oreilles de toutes les formes et des poils de toutes les longueurs. Ces animaux sont IMPRESSIONNANTS. Ce jour là, le ligre décidera de rester dans sa cabane et je pense que c’est le karma qui m’a puni d’être allé au zoo en sachant que ce n’était pas une bonne chose à faire. Il est vrai que tous les animaux étaient très à l’étroit dans leur cage. Je ne pensais jamais voir un ours polaire dans une cage de 5x5m avec du carrelage au sol.
En conclusion, j’ai trouvé cette visite ultra intéressante pour ma culture mais les animaux n’avaient pas l’air aussi épanouis que dans le documentaire « Notre Planète » sur Netflix.
Anecdote
Ce qui me frappe également en ville, c’est que toutes les voitures sont vieilles. Je ne parle pas ici de voitures anciennes en bon état, mais bien de vieilles carcasses qu’on force à rouler. D’ailleurs, je suis incapable de dire de quel côté est censé être le volant car la moitié des voitures a le volant à gauche et l’autre moitié à droite !
Sinon, devinez où je dors à Novossibirsk ? Une auberge évidemment ! Après m’avoir raconté qu’il est un énorme fan de Pierre Richard, le gérant m’informe qu’une Allemande occupe le lit juste en dessous du mien. Il me dit qu’il faut absolument que je la rencontre car elle parle Anglais aussi. Le soir en revenant de ma journée au zool, il me fait signe qu’elle est là. C’est ainsi que je rencontre Kathrin. Elle a 32 ans et je la vois comme une voyageuse accomplie qui, chaque année depuis 6 ans maintenant, travaille 3 mois puis voyage seule le reste du temps. Ce train de vie n’est pas banal et je la trouve très courageuse, inspirante. En plus, elle a plein d’anecdotes de voyage à me raconter !
Comme nous allons tous les deux à Irkutsk 2 jours plus tard, nous réservons la même auberge de jeunesse et faisons le voyage ensemble.
Trajet Novossibirsk-Irkutsk : melting pot
Distance : 1800 km – Durée du trajet : 33h
Plus on va vers l’Est, plus les visages changent. Pour mon dernier trajet en Russie, j’ai l’impression que les 3/4 des passagers ont la peau plus bronzée et les yeux plissés. Les visages me font davantage penser à des populations Ouzbeks, Kazakhs et Mongoles que Russes.
Aussi, les gens sont également plus intrigués par les voyageurs que près de Saint-Pétersbourg et Moscou. On sent qu’ils n’ont pas l’habitude de voir des touristes dans cette région plus reculée. Kathrin et moi ne sommes pas assis ensemble dans le train. Je suis avec une bande de jeunes que j’ai l’air de beaucoup intriguer. Ils observent chacun de mes mouvements, j’ai l’impression d’être une bête de foire. Il y a également un homme d’une cinquantaine d’année qui ne me calcule absolument pas et cela balance avec les regards insistants. Je sors de temps à autres ma GoPro pour filmer les paysages monotones par la fenêtre. Ma caméra les intéresse et je leur montre quelques photos pour briser la glace. Au final, ce voyage de 33h (mon plus long), se passera sans encombre.
Irkoutsk : Yann
Dans notre auberge à Irkutsk, Kathrin et moi faisons la connaissance de Eva (Allemande) et Yann (Français). Je trouve le projet de Yann très intéressant : à l’aube de ses 30 ans, il a décidé de partir en Nouvelle-Zélande avec un visa voyage-travail. Mais au lieu de s’y rendre par les airs, il a décidé de prendre son temps en y allant par la terre. Après avoir traversé l’Europe, il a également emprunté le Transiberien. Il a ensuite comme objectif de passer par la Mongolie, la Chine et enfin l’Asie du Sud Est pour finir en Nouvelle-Zélande.
Yann est impressionnant car il trimballe tout son matériel de camping et sa tente n’est pas minimaliste ! Son sac est énorme et on est autour des 20kg, de mémoire. Quand on voyage en hiver, le matériel est toujours plus volumineux et lourd.
Depuis Irkoutsk, la ville la plus proche pour voir le lac Baïkal s’appelle Listvianka. Nous nous y rendons avec Kathrin pour enfin découvrir et admirer la légende !
Le lac Baïkal
Tout proche de la frontière Mongole au sud-est de la Russie, le lac Baïkal est le plus ancien (25 millions d’années) et le plus profond (1 640 m) lac du monde. Il mesure 640 km de long par 80 km de large. En arrivant au bord du lac, si on ne connait pas, on peut penser être face à la mer. Il contient 20 % de l’eau douce la planète (hors glaciers).
Sa position géographique reculée ont permis à la faune et la flore de s’y développer. Il règne également une dimension mystique liée au chamanisme autour du lac et sur l’île d’Olkhon, la plus grande.
Pour plus d’informations, je vous mets le lien du site d’UNESCO.
L’île d’Olkhon
Pour le plaisir, Yann a décidé de camper dans le sable au bord du lac Baikal. Je trouve ça audacieux car à sa place je ne serais pas très rassuré. Comme il me dit, il n’y a vraiment pas beaucoup d’habitants sur l’île et encore moins d’animaux sauvages pour venir le déloger.
Anecdote
Ça me rappelle un autre voyageur rencontré 2 ans auparavant pendant le voyage Interrail : Luc. Il nous avait raconté qu’il avait déjà passé des nuits dans des parcs pendant ses voyages. Pour nous expliquer pourquoi il n’avait pas peur, il avait dit :
« T’as peur de qui la nuit en ville, des clodos ? Les clodos ils sont comme toi, la nuit ils dorment ! Et c’est quoi ton objet le plus important ? Bah ouais c’est ton passeport, tu le mets dans ta poche et t’es tranquille. Y’a pas de quoi avoir peur hein ! » Leçon de vie, merci Luc !
De mon côté, j’ai loué une chambre chez l’habitant via Airbnb. Il s’agit d’une cabane en bois en forme d’octogone dans un jardin, sans eau courante. A ce jour, je me souviens encore de l’odeur de la fausse sceptique nichée sous le cabanon en taule servant de WC.
A l’époque où nous sommes sur l’île, le lac est en train de dégeler gentiment. On peut observer des blocs de glace ici et là. Je suis très surpris de voir de la glace si tard dans l’année, en plein mois de mai. Après tout, nous sommes en Sibérie. S’il ne fait pas froid quelque part dans le monde en mai, c’est qu’il y a un sérieux problème.
Loin de tout
Comme je ne suis pas rassuré à l’idée de louer une moto, je décide de louer un VTT pour explorer l’île par mes propres moyens. Il n’y a pas de routes partout et j’ai l’impression de me promener sur un immense plateau avec une sensation de liberté exceptionnelle. C’est comme ci je pouvais faire absolument tout ce que je veux sans déranger personne. Je peux même hurler de toutes mes forces si je veux et on ne m’entendra pas. C’est très bizarre et plaisant comme sensation.
Sur place, je repère quelques rongeurs type écureuil ainsi que des rapaces. Je sais immédiatement qui est le chasseur et qui est la proie. Je me rends compte par moi-même que la faune a pu se développer car elle n’est pas dérangée. L’île est très peu peuplée, environ 1500 habitants. En accédant à la ville de Khoujir en bus, je me fais la réflexion qu’il n’y a qu’un seul chemin en terre et qu’une seule ligne électrique. Ma première pensée est que ces gens vivent 50 ans en arrière.
Il y a peu de touristes et je me sens extrêmement privilégié d’être à cet endroit. Je fais tout de même la rencontre d’une dame Suisse très sympathique, passionnée de photographie et pleine de sérénité. Se rendre sur cette île, ce n’est pas un voyage banal et le peu qui s’y rendent ne sont pas des simples touristes. Cette expérience de 3 jours sur l’île et de manière générale en Sibérie est absolument géniale. J’ai l’impression d’avoir évolué.
Le doute
De retour à Irkoutsk, je fais le point sur mon voyage et je pense à la suite. Pour se rendre en Mongolie, il faut obtenir un visa auprès du consulat à Irkoutsk. Quand je m’y rends le 12 Mai, il est fermé pour cause de jour férié. J’ai lu que le visa était très rapide à obtenir, à condition d’avoir un interlocuteur. Ce contre-temps me fait douter.
En Mongolie, j’ai prévu de faire un trek d’une semaine à cheval et de dormir dans des yourtes avec des familles nomades. On trouve ce genre de package sur internet pour environ 40€ la journée. De plus, j’aimerais rester au minimum 3 semaines dans le pays pour avoir le temps de le découvrir. En comparant le prix des vols retour depuis Irkoutsk et depuis Oulan-Bator, je remarque qu’il y a une énorme différence, environ 500€ à l’époque. Je me dis que ce séjour va me coûter près de 1000€ supplémentaire. Ça tombe mal, j’ai prévu de m’offrir un nouvel ordinateur à mon retour, pour terminer mes études. Je suis un peu limité par le budget.
The end
Depuis quelques semaines, je commence également à éprouver de la lassitude. Changer d’endroit tous les 4-5 jours est éprouvant, surtout quand on voyage seul et qu’on ne parle pas la langue locale. Les paysages se ressemblent beaucoup depuis que j’ai passé l’Oural, frontière naturelle entre le continent Européen et l’Asie. Vraisemblablement, cela va se poursuivre en Mongolie avec des grandes étendues vierges.
En considérant tous ces points, je me dis qu’il est peut-être temps de rentrer, quitte à revenir en Mongolie dans quelques années pour reprendre le voyage. Ainsi, 3h après m’être rendu au consulat fermé ce jour là, j’achète un billet d’avion jusqu’à Munich. Mon voyage s’achève après 3 mois et demi intenses, marqués par des découvertes et des rencontres uniques.
De son coté, Yann obtiendra son visa pour la Mongolie sans encombre le lendemain. Il poursuivra son voyage à travers l’Asie jusqu’en Nouvelle-Zélande. Inspiré par son périple, j’ai décidé en 2023 de me rendre en Nouvelle-Zélande moi aussi avec un visa Voyage-Travail. Comme lui, j’ai choisi de séjourner en Asie du Sud-Est quelques mois avant d’y aller. Kathrin, quand à elle, continuera son voyage en train jusqu’à Vladivostok, terminus du Transsibérien. Elle se découvrira ensuite une passion pour la randonnée. Si j’ai fait le GR20 en Corse en Août 2022, c’est un peu grâce à Kathrin. Les gens que nous rencontrons en voyage ont souvent des trajectoires de vie et des expériences particulières qui les rendent intéressants. Certaines ont le pouvoir de laisser une grosse emprunte dans notre propre vie.
Bilan
A l’heure où j’écris cet article, en Février 2023, j’ai toujours en tête de retourner en Russie voire même de refaire un trajet en train. Depuis, j’ai appris à me débrouiller en Russe au Turkménistan et j’aimerais pouvoir utiliser et développer cette compétence. Etant un voyageur plus expérimenté, je pense pourvoir profiter différemment et faire encore plus de rencontres. Malheureusement, le conflit entre la Russie et l’Ukraine empêche toute possibilité de se rendre sur place. Pour le bien commun, j’espère de tout coeur que cette guerre se terminera bientôt.
Si tu as des questions ou des remarques, n’hésite pas à laisser un commentaire !