UTMB Mont-Blanc 2025
l’aboutissement d’une quête
Après 11 ans de course à pied et un peu de chance au tirage au sort : je suis sur le point de participer à l’UTMB Mont-Blanc 2025 ! La course la plus longue de ma vie, celle qui m’intrigue autant qu’elle me fait peur. Cet article retrace ma course lors de l’édition 2025.
Temps de lecture estimé : 25 minutes.
Disclaimer : Ce post est long, comme la préparation pour un UTMB. Si vous êtes là uniquement pour revivre la course, n’hésitez pas à utiliser le sommaire.
L’UTMB, c’est quoi ?
Crée en 2003, l’Ultra Trail du Mont-Blanc (UTMB) est une boucle autour du massif au départ de Chamonix. Depuis plus de 20 ans, des milliers de coureurs s’élancent sur différents formats de course. La course reine est l’UTMB.
Une explication détaillée a déjà été faite dans l’article sur l’AMAZEAN JUNGLE TRAIL. Je vous invite donc à consulter cette page. J’y explique la marche à suivre pour pouvoir espérer participer à l’UTMB en tant qu’amateur. A noter que le nombre de courses UTMB World Series est en constante augmentation.
Début de la quête
Janvier 2023, je m’apprête à partir en Asie puis Océanie pour un voyage de plus d’un an. Pour aller avec ce projet perso, il me faut un projet sportif d’envergure pour garder un cadre dans mon quotidien. L’idée de participer à l’UTMB dans les années à venir me vient à l’esprit. Le seul problème : l’inscription se mérite au tirage au sort, après avoir participé à des courses préliminaires. Pour allier voyage et commencer à collecter des points, je m’inscris à une course de 50 km en Thaïlande pour le mois de février. Dans la douleur, je termine le BETONG 50 du Amazean Jungle Trail by UTMB en 9h05, non sans mal, et je collecte mes 2 premiers Running Stones UTMB : la quête est lancée.
Pour devenir éligible, il me manque une course de 100 km. Je m’inscris au TAUPO 100 en Nouvelle-Zélande, ma prochaine destination. Le 14 octobre 2023, je termine mon premier (presque) 100km et j’obtiens ainsi l’index 100K qui me rend éligible au tirage au sort. Avec seulement 2 Stones en poche, je ne suis pas tiré au sort pour l’édition 2024 de l’UTMB Mont-Blanc. Ce n’est que partie remise.
Premier 100 miles en Nouvelle-Zélande
Afin de capitaliser sur la forme physique après plusieurs mois de randonnée à travers la Nouvelle-Zélande, je participe aux 100 miles de la TARAWERA by UTMB en février 2024 et j’obtiens 4 Running Stones supplémentaires. Avec 6 Stones, mes chances d’obtenir un dossard pour 2025 sont réelles, mais j’hésite quand même à passer par l’Australie en 2024 pour participer à une autre course et augmenter mes chances.
Après réflexion, cette course aux Stones me rebute. Je ne vois pas de problème à participer à des courses en étant à proximité des événements, mais je ne veux pas me déplacer uniquement pour ça. Je m’en remets donc à la chance. Une autre option serait de participer à la TDS 2024 à Chamonix mais après avoir souffert le martyr sur cette TARAWERA, je décide de ne pas participer à la course, que j’estime trop dure pour mon niveau actuel, et je vis simplement l’UTMB 2024 de l’intérieur en tant que bénévole.

La chance sourit aux audacieux
La chance me sourit en janvier 2025, quand je suis tiré au sort pour l’édition de l’UTMB 2025 avec mon ami Thomas, avec 6 Stones et sans avoir forcé la course aux cailloux. Après 2 ans de collecte de Stones et un peu de chance, je serai sur la ligne de départ cette année. La prépa peut commencer.
De janvier à avril, je participe à des courses sur route, du 10 km au marathon. Je signe d’ailleurs un record sur 10km en 33’15 ainsi qu’un record au semi en 1h11’45. Sur le marathon de Rotterdam, j’échoue une nouvelle fois à passer sous les 2h30 mais sans préparation adéquat. Je commence l’entraînement plus spécifique au trail en incluant du dénivelé à partir du mois de mai et je boucle la MaxiRace (100 km – 5600 m D+) en 16h20 le 31 mai, avec assez peu d’entraînement. En habitant à Lille, il faut être bien motivé pour faire du dénivelé.
De début juin à fin août, je cours 1300 km avec 40 000 m de dénivelé en 153 h d’entraînement, soit 108 km – 3300 m – 12h45 par semaine (pour les data analysts). Cette prépa inclut une reconnaissance du parcours en 4 jours au début du mois d’août.

Objectif sur l’UTMB
Avec cet entraînement, mon expérience et mon niveau actuel, je pense pouvoir terminer l’UTMB Mont-Blanc en 30 h. Il faut que tout se passe bien, mais c’est jouable. Avec l’aide de ChatGPT et de mes connaissances, je dresse un plan de course avec des horaires de passage à chaque ravito. Pendant les 2 dernières semaines, je me fais une visualisation du parcours tous les jours et je regarde des vidéos de reconnaissance pour me rassurer. Je me répète les conseils qu’on m’a donnés au fil des années :
- S’hydrater et s’alimenter en permanence
- Ne pas partir trop vite
- Contrôler sa FC pour ne pas le payer plus tard
- Croire en soi
L’émotion du départ
Sur cette aventure, Thomas et moi sommes suivi par Rémi, Guillaume, Jimmy et Noelia qui feront notre assistance. À Chamonix, Alex et Manon sont bénévoles et nous espérons retrouver Baptiste à l’arrivée, à la fin de sa CCC ! Nous avons passé la semaine complète à Chamonix.
Le départ est lancé le vendredi 29 août à 17h45 depuis la place du Triangle de l’Amitié à Chamonix. Je suis en compagnie de Thomas et l’objectif est clair : rallier la ligne d’arrivée quoi qu’il en coûte. Le dossard est trop dur à obtenir pour ne pas donner le meilleur de soi-même. Après plusieurs années de rêve, 2 ans de collecte de Stones, des centaines d’heures d’entraînement et des milliers d’euros investis, je sais que j’irai au bout. Reste à savoir en combien de temps et dans quel état.
Alors même que le départ est donné, la pluie se met à tomber : cela annonce la couleur. Avec Thomas, nous vivons le départ le plus INCROYABLE de notre vie. J’ai participé à des dizaines de courses, mais absolument rien n’égale la folie du départ de l’UTMB. Malgré la pluie, les rues sont bondées sur plusieurs kilomètres et l’ambiance est folle. Je serre la main de Thomas en me disant :
« On est tous les deux au départ de la plus grosse course de notre vie. Je cours depuis le lycée, c’est l’aboutissement d’un investissement personnel colossal. Maintenant, il faut honorer le dossard. Je n’ai jamais reçu autant d’encouragements de ma vie, mes copains sont là. Ça va être un formidable chantier. C’est pour ces courts moments que je fais du sport. »
Une petite larmichette au coin de l’œil et : « Jetzt geht’s los !!! » comme on dit en Alsace.


Chamonix > Contamines
Je fais les premiers kilomètres jusqu’aux Houches avec Thomas. Il fait encore jour, le terrain est roulant, tout va bien. On se fait doubler par Clément Defrenne, alias Clemquicourt, et Thomas ne manque pas de l’encourager. Pour éviter de perdre du temps dans le peloton, on fait le choix de ne pas s’arrêter au premier ravitaillement pour tracer directement à St-Gervais. Quand le chemin commence à s’élever dans le Col de Voza, on tombe sur le coureur américain Anton Krupicka sur le bord du chemin, petite légende dans le monde de l’ultratrail. Je ne trouve rien de mieux à lui dire que « you’re a fucking legend! ». Pas très inspiré, l’émotion je suppose.
J’avance légèrement plus vite que Thomas dans cette première côte et il me dit de partir devant sans l’attendre. Après 1h30 passés ensemble c’est le début de l’aventure en solitaire pour tous les deux. Je monte à un bon rythme en regardant ma FC à la montre pour suivre les conseils avisés de mon ami Alex le métronome.
Anecdote
Laissez-moi vous conter les paroles du sage Alex, reçues lors de la reconnaissance autour du Mont-Blanc au début du mois d’août 2025.
« Alors Nono, imagine tu visualises que t’as 3 jauges d’énergie :
La première elle est verte, c’est celle qui peut durer très longtemps et que tu dois conserver jusqu’à la fin de ton ultra. C’est la plus importante, mais elle ne se régénère JAMAIS. Genre moi c’est quand je suis en dessous de 125 bpm.
Ensuite tu as la orange que tu peux utiliser de temps en temps mais sur des courts instants. Cette jauge s’use moyennement vite et se régénère lentement. C’est valable dans les accélérations ou les cols pas trop longs. C’est entre 125 et 150 bpm on va dire.
Enfin t’as la rouge qui te sert à sprinter. Tu ne dois jamais l’utiliser sur un ultra. C’est au dessus de 150 bpm. T’es sûr d’exploser un moment ou à un autre quand t’es dans cette zone.
Trust the process
Les jauges orange et rouge te permettent d’aller vite mais pas sur une longue durée. Elles sont méga longues à se régénérer et surtout elles consomment ta jauge verte très rapidement. Fais en sorte de ne jamais être dans le rouge, sois vigilant quand t’es dans le orange et n’oublie jamais que ta jauge verte ne se restaure pas.»
D’après cette explication imagée, je sais que je ne veux pas rester au-dessus de 140 BPM trop longtemps et ne jamais atteindre 150 BPM durant ma course.

Il est 20h15, a nuit commence à tomber dans la descente vers St-Gervais. Je remarque que certains zigotos prennent le risque de descendre sans lampe frontale pour gagner quelques secondes, au risque de se casser la margoulette et de mettre fin à leur course. J’arrive en ville et le public est présent malgré la nuit et la pluie qui n’a pas vraiment cessé de tomber depuis le départ. Je remplis mes flasques de boisson d’effort NAAK, je mange un gel et je repars avec un verre de bouillon chaud à la main.
Je suis dans mes temps de passage estimés : 1h pour aller aux Houches et 3h pour atteindre St-Gervais. La prochaine étape est Les Contamines où je verrai les copains qui font l’assistance, avant d’attaquer la première grosse difficulté, le Col du Bonhomme avec ses 1300 m de dénivelé d’une traite. Je continue à manger et boire régulièrement, tout va bien. J’atteins le ravito avec 20 minutes d’avance et je retrouve Noelia.

Contamines > Col de la Croix du Bonhomme
Aux Contamines, je choisis de ne pas traîner et je repars sans me couvrir : c’est ma première erreur de la course. Il pleut depuis le départ, la température a chuté avec la tombée de la nuit et cela va s’empirer avec l’altitude. De la neige est annoncée sur les sommets à 2500 m et je néglige cette info. Le citadin que je suis pense que la montée va être rapide et que les quelques flocons qui vont virevolter n’auront pas d’influence sur son corps tout chaud.
En arrivant autour de 2200 m d’altitude, la pluie se transforme en neige et elle tient au sol. Je suis en short et t-shirt avec ma veste étanche et je commence à avoir vraiment froid. Je me dis qu’il est trop tard pour m’équiper et que je m’habillerai plus chaudement au prochain ravito des Chapieux : je ne m’habille toujours pas et c’est ma deuxième erreur, je claque littéralement des dents.
Survival mode
Arrivé à 2350 m, le personnel secouriste nous informe que le vent souffle au sommet et qu’il est conseillé de mettre le pantalon étanche tout de suite. Malgré cela, je reste sur mon idée d’aller vite au ravito. J’observe un changement dans mon état d’esprit : je ne suis plus en train d’avancer pour viser un chrono sur une course, mais pour éviter l’hypothermie. Pour me réchauffer, je me mets à courir dans la pente, ça fonctionne, mais il y a encore beaucoup trop de monde sur le petit chemin et je finis rapidement dans le dos des coureurs qui me précèdent.
Arrivé au sommet à 2450 m, les secouristes nous obligent officiellement à nous habiller : le pantalon et la 3ᵉ couche chaude sont obligatoires. Un secouriste m’indique une cabane en bois de 8 m² à 20 m de moi. Il y a 7 personnes dedans, dont 2 en hypothermie. Ça me fait réaliser qu’il y a pire que moi. La température ressentie est de -7°C. Le secouriste leur demande de quitter leurs vêtements trempés. Ils se mettent en boule dans leur couverture de survie avec une bougie chauffe-plat entre les jambes. Je me dépêche de me changer moi-aussi malgré le peu de place : je change de t-shirt, j’enfile ma doudoune, mon pantalon étanche et je change mon tour de cou qui est trempé. Maintenant, il faut se dépêcher de descendre pour que la température remonte un peu.

En route vers Courmayeur
Le petit sentier en terre que j’avais observé pendant la reconnaissance du parcours début août s’est transformé en champ de boue à cause de la neige. La descente est pénible, mais je reste calme. Je me fais rattraper par une femme en tenue ASICS complète qui porte le dossard 250 ; j’en déduis que c’est une élite féminine. Après plusieurs minutes à la suivre, je lui demande ce qui lui est arrivé pour se retrouver ici dans le peloton : hypothermie, une heure d’arrêt avec l’équipe médicale. Elle a hésité à abandonner. La nuit est compliquée pour tout le monde. Finalement, la sympathique américaine francophone Christine SELMAN abandonnera le lendemain au km 115 à La Fouly.
Parti autour de la 1000ᵉ position, j’arrive au ravito des Chapieux au 52ème kilomètre au bout de 8h de course, à la 600ᵉ place. J’ai perdu quelques points de vie dans ce col, mais il faut tenir bon jusqu’au lever du jour.
La sécurité avant tout
Les bénévoles contrôlent notre couverture de survie avant d’attaquer le col suivant, et on nous informe que le parcours est modifié : nous n’irons pas aux Pyramides Calcaires et nous emprunterons le parcours classique de la randonnée du Tour du Mont-Blanc sur la prochaine section. Même si c’est dommage de ne pas faire le parcours classique, c’est une bonne nouvelle pour moi : je n’aime pas les terrains techniques et j’appréhendais cette section sous la neige.
Dans la montée du Col de la Seigne, on retrouve une nouvelle fois la neige, mais je ne subis plus le froid maintenant que je suis bien couvert. Le peloton s’est réellement étiré et la progression est moins pénible que dans le col précédent. Alors que le jour se lève dans la descente vers Courmayeur et que j’ai hâte de retrouver mes copains qui font l’assistance, j’ai des fortes douleurs aux petits orteils. Mes pieds sont mouillés depuis le début et il est temps de vérifier leur état. J’accuse 50 minutes de retard sur mes prévisions en entrant dans le gymnase, mais j’ai encore gagné 180 places entre le km 52 et le km 82. C’est l’hécatombe et me voilà classé 433ème.

Une pause réconfortante
Je suis accueilli comme une star par Rémi, Jimmy et Noelia. Guillaume m’attend à l’intérieur avec une table toute prête. Il m’indique que je suis hyper bien classé et que j’ai remonté plein de monde dans la nuit. Effectivement, je repère deux visages familiers que je pensais devant moi dans la zone de ravito. Tout le monde a pris cher. Même François D’Haene a jeté l’éponge au Lac Combal. Pour attaquer la journée, je change de tenue. J’ai senti une très vive douleur aux petits orteils dans la dernière descente et je me retrouve avec une belle ampoule éclatée à chaque pied.
Anecdote
Je mets de côté le chrono et décide de prendre le temps d’aller voir l’équipe médicale pour nettoyer et mettre des bandages dignes de ce nom. Pendant 10 minutes, je suis bichonné par un homme très sympa. Au passage, je suis filmé par une journaliste du média Brut, qui fait un reportage sur l’équipe médicale de l’UTMB. Restez connectés, vous risquez de voir mes pieds dans votre feed :
Lien vers la vidéo Youtube de Brut.

Après une longue pause de 50 minutes, je quitte le ravito avec 1h40 de retard sur le plan de course. Je constate que mes jambes vont bien, à l’exception des ampoules. L’objectif de 30 h s’éloigne, mais la priorité reste toujours d’aller au bout. Je suis confiant en ma capacité à tenir. Contrairement à la MaxiRace, je ne souffre pas de la plante des pieds ni des tendons d’Achille. Je repars avec un Danois qui a fait un ravito rapide en moins de 20 minutes. D’ailleurs en quittant Courmayeur, nous constatons qu’il n’y a vraiment plus grand monde autour de nous.
Passage à vide
La montée vers le refuge Bertone est raide, mais j’en ai un bon souvenir de la reconnaissance. Je suis assez fort en montée et je laisse mon camarade Søren derrière moi. En haut, je sens que mon niveau d’énergie est en baisse. J’ai l’impression de m’alimenter suffisamment, mais ça ne revient pas. Après 15 h de course, je me dis que c’est le manque de sommeil qui frappe et qu’il faut s’accrocher. Je subis la section entre Bertone et Arnouvaz, que j’imaginais rapide, roulante et agréable. Je prends un coup au moral et j’attends patiemment que mon énergie remonte tout en continuant à m’alimenter.
Au 100ᵉ kilomètre, à Arnouvaz, je sors mon téléphone pour prendre des nouvelles de Thomas après cette nuit exigeante. Il est à Courmayeur et songe à abandonner. L’assistance de luxe et les copains font de leur mieux pour le remotiver : ça fonctionne et Toto repart après 2h à Courmayeur ! Jusqu’au bout de soi-même, le meilleur mindset. J’en profite pour moi-aussi donner des nouvelles au groupe. J’en suis à 17h45 quand je sors du ravito.
J’attaque maintenant le Grand Col Ferret, un beau bébé de 800 m de dénivelé qui me prendra 1h30 à monter. Ça fait maintenant 4 h que je suis dans le dur et les visages autour de moi changent peu. Je repère le dossard 664, qui était à côté de moi cette nuit sous la neige. Lui aussi a l’air de subir depuis le refuge Bertone. Sans se parler, le fait de galérer ensemble a le mérite de me rassurer et de me motiver à m’accrocher. Ca fait 2 ans que je pense à participer à cette course et je ne vais pas lâcher maintenant !
Renouveau
Dans le milieu de la descente, l’énergie semble revenir doucement. Je reprends les groupes que j’avais laissés partir et j’arrive à La Fouly avec un meilleur état d’esprit. La montée vers Champex-Lac se passe vite et il ne me reste plus que 50 km avant la ligne d’arrivée. J’arrive à me dire que le plus dur est fait, malgré les 3 cols qui restent. Je me mets en tête de viser 33 h et surtout d’aller le plus loin possible avant la nuit. Il est 16 h 45 quand je quitte Champex-Lac et il me reste 4 h de lumière du jour. Par expérience, je sais que la vitesse chute aussi vite que le moral quand la nuit tombe.
Je me mets à trottiner comme un estropié quand un autre coureur français me fait une petite blague : « Quelle foulée, le retour du pied vers la fesse est impressionnant ! » Je sais qu’il veut juste plaisanter, mais en moi-même je me dis : « Ah ah, c*nnard. Ne fais pas le fou parce que je vais te déposer. » Tous les moyens sont bons pour se motiver à ce niveau-là. Spoiler : sachez quand même que je ne l’ai jamais revu. Ça fait maintenant 23 h de course.
Les 3 cols – pif, paf et pouf – pour terminer
L’heure des calculs mentaux est venue : il me reste un petit 50 km que j’aimerais faire en 10 h, si je ne perds pas trop de temps dans les cols et que j’arrive à trottiner le plat et les descentes, ça passe pour les 33 h ! Allez, mon grand ! La montée vers Bovine se passe péniblement et il me faudra presque 3 h entre Champex et le sommet, soit 12 km. Comme je l’avais imaginé dans l’après-midi, j’arrive à Trient en bas de la descente à la tombée de la nuit. À ma grande surprise, mes copains sont présents et je n’osais pas l’envisager, car je pensais que l’accès en voiture serait compliqué. C’est une très bonne nouvelle !
Ils m’informent que Thomas a tenu bon malgré les douleurs et qu’il est reparti dans le Grand Col Ferret à quelques minutes de la barrière horaire. Je prends le temps de me faire chouchouter par Noelia et de manger un peu avant d’attaquer la montée des Tseppes. Pendant la reco, je l’avais faite en fin de journée avec Alex et je me souviens d’un monstre à gravir, de loin la pente la plus dure et la plus raide de toute la course d’après moi.
J’adore ce type d’effort en montée, mais j’appréhende la descente : il y a 800 m de dénivelé positif, puis 800 m de dénivelé négatif jusqu’au prochain ravitaillement de Vallorcine. Je discute tellement que j’oublie de me couvrir avant de ressortir. Apprenant de mes erreurs, je prends la peine de m’arrêter 100 m plus loin pour m’assoir sur un banc afin de mettre un haut épais, mon pantalon et mes gants. Pas question de finir congelé comme la nuit d’avant. Il est 20 h 30.

Prendre son mal en patience
J’avale la montée des Tseppes comme une balle, à doubler tous les gens que je peux, et je reprends 20 places d’un coup. Je me dis que je suis vraiment trop fort en ascension pure : ma dernière pensée positive. Alors que je fais de mon mieux pour assurer dans la descente, une douleur soudaine, brutale et localisée apparaît côté intérieur de mon genou droit. Aïe, il ne reste que 25 km, mais ça peut prendre une éternité si je dois tout marcher. Pour le moment, la douleur est supportable et je termine la descente à bonne allure.
En arrivant au ravito de Vallorcine, ça a beaucoup empiré. Les copains sont encore présents et Guillaume me rassure toujours : « Gros, c’est énorme, t’es 350ᵉ, c’est le haut du panier. Franchement, on s’en fout du chrono, va juste au bout ! » C’est exactement ce qu’il fallait me dire pour que je prenne encore mon temps pour discuter. Plus de pression car le résultat est là, juste pas de DNF. Le service médical me propose du paracétamol contre la douleur de mon genou. Je me dis que c’est de la triche et je refuse. A la place, elle me met une crème anti-inflammatoire sur la zone et me voilà reparti.
Je repars en marchant, direction le Col des Montets, un faux-plat montant de 3 km sans difficulté. Encore une fois, les copains sont présents ! Ils doivent être au bout du rouleau, épuisés depuis la nuit dernière. En plus de la douleur qui m’empêche de courir en descente, mon niveau d’énergie ne remonte pas et j’ai de nouveau un gros coup de barre. Les pensées négatives s’installent alors qu’il ne me reste que 15 km.
Le dernier col
J’attaque la montée péniblement, en compagnie de mes pensées négatives et de Benoît, un autre coureur français en petite difficulté. Déchargé du poids de l’objectif de chrono, nous avançons doucement tous les deux. Nous nous faisons rapidement rattraper par deux autres coureurs, un Suisse et un Espagnol. Un peu agacé, je les laisse passer devant en disant, en gros, que je n’ai pas envie d’être poussé au cul pour mon dernier col. Je termine les quelques bonbons Haribo qu’il me reste pour me réconforter.
Le moment de la courte mais technique descente du Béchar est arrivé. Une équipe de secouristes nous informe qu’il n’y a que 270 m de D- sur 1,3 km, mais qu’il faut être vigilant. Ma douleur au genou gauche est devenue très très intense, j’avance derrière Benoît comme un petit vieux, pas à pas. Malgré notre rythme de 2 km/h en descente, nous rattrapons des gens encore plus mal en point que nous. C’est lunaire.
Une fois en bas, il reste 600 m de D+ à gravir pour atteindre la Flégère, dernier sommet. C’est interminable, j’en suis au point de me demander si ce n’est pas justifié de DNF quand on peine à ce point. Spoiler : non, ce n’est pas justifié. Toujours à l’aise en montée, je me décide à accélérer quitte à laisser Benoît derrière moi pour en finir vite. En arrivant au niveau des remontées mécaniques sur la partie dégagée, le Suisse que j’avais laissé passer pour être tranquille me demande s’il peut finir le col avec moi car toutes ses batteries de lampes frontales sont mortes.

Encore des doutes
Ensemble, nous atteignons le tout dernier point de ravitaillement. Il ne reste que la descente. Je m’assois et demande une bombe de froid pour mon genou. La personne du service médical me dit que cela ne servira à rien vu la longueur de la descente. À la place, elle me donne 1 g de Dafalgan contre la douleur, que j’accepte cette fois-ci parce que je n’en ai plus rien à foutre. Elle me conforte en rappelant que le paracétamol n’est pas interdit en course, ce qui m’étonne quand même vu son efficacité contre les douleurs.
Nous sommes une dizaine de coureurs sous la tente du ravito et je laisse tout le monde partir devant pour finir seul, car je n’ai plus envie de bavarder. Pour cette fin de course, j’ai envie de vivre le moment tout seul. Au bout de 20 minutes, je me lance péniblement dans la dernière descente en glissant les pieds sans plier les genoux. Pour ne pas les faire attendre dans le froid, j’informe mes copains de l’assistance que je risque de mettre 1000 ans à descendre les 900 m de dénivelé négatif pour rallier Chamonix.
Au fil des mètres, mon corps se réchauffe et le paracétamol fait son effet. J’allonge petit à petit les pas, puis je commence à me laisser descendre. La douleur s’atténue et je rattrape même du monde. Je visualise la buvette de la Floria dans ma tête. À partir de ce point, je sais qu’il ne reste que 3,5 km sur un terrain facile jusqu’à la ligne d’arrivée. Quand je l’atteins, c’est l’euphorie dans mon esprit. Spectateur l’an passé, je me revois à suivre le 3ᵉ au scratch à allure 4:30/km dans ce tronçon.
Dernière ligne droite
Je me mets à courir, il ne peut plus rien m’arriver. Je vais aussi vite que possible, mais la montre n’affiche que 6:40/km. Ca fait mal au coeur car j’ai l’impression de voler. En arrivant en bas, je suis officiellement à Chamonix sur le dernier kilomètre. Depuis que j’ai été tiré au sort, je me vois courir sur cette route dans ma tête et c’est maintenant une réalité.
Il est 4 h du matin, les rues sont vides. On est loin du 23 h avec des rues bondées comme je l’avais imaginé, mais je suis content quand même. Je pousse l’allure pour atteindre 4:30, it’s time to shine ! Comme à chaque fin de course, les douleurs ont disparu.
Dans les derniers virages, Alex et Baptiste m’accueillent, sourire aux lèvres, alors que je trace aussi vite que possible vers le tapis bleu ! Au bout de la ligne droite, tous mes amis m’attendent sous l’arche. Je boucle la course en 34 h 36 ! Ce n’est pas 30 h, ni 33 h, mais je l’ai fait, putain ! Je passe la ligne de cet UTMB Mont-Blanc 2025 en 364ᵉ position sur 2500 partants. C’est honnête, je vais pouvoir me la raconter à la machine à café. Une nouvelle fois, je suis content d’avoir atteint l’objectif initial : jusqu’à la ligne quoi qu’il en coûte.

Piste d’amélioration
Après coup, je réalise toute les petites erreurs que j’ai faites durant cette course. Il y a beaucoup de pistes d’amélioration :
- Nutrition : j’ai compté sur la boisson d’effort NAAK à 55g de glucides par flasques pour tenir toute la course, avec un complément en gel et purées. Au bout de quelques heures, j’ai eu l’impression que la boisson ne faisait pas d’effet. J’aurais du boire de l’eau pure au ravito et manger plus solide pour maintenir mon énergie
- Habillement : Dès le début de la pluie, j’aurais du mettre ma veste pour éviter de perdre des calories bêtement. De même, à la tombée de la nuit avant les cols, j’aurais du enfiler mon pantalon et un vêtement plus chaud sans hésiter. Il aurait pu être judicieux de mettre des chaussures sèches à Courmayeur.
- Ravitaillement : Je n’ai pas essayé d’optimiser réellement mes ravitaillements. Sur la première moitié, je n’ai pas traîné. À Courmayeur je me suis arrêté 50 minutes alors que j’aurais pu tout faire en 20 minutes si j’avais été organisé. Je me suis arrêté au moins 10 minutes à Champex, Trient, Vallorcine et La Flégère. Si j’y retourne pour une meilleure perf, je planifierai mes arrêts.
- Rythme : Je suis parfois resté trop longtemps derrière des gens qui allaient plus lentement que moi. En général, ça me sert à ralentir pour ne pas taper dans mes jauges d’énergie mais il ne faut pas que cela dure trop longtemps. Aussi, j’aurais pu utiliser mes bâtons plus fréquemment pour aller un peu plus vite sur certains tronçons.
- Motivation : Enfin, j’aurais pu gagner beaucoup de temps si j’avais réussi à chasser les idées noires pour rester positif à chaque instant de la course. Ecouter de la musique aurait pu m’aider à me vider la tête mais j’avais fait le choix de ne pas emmener d’écouteurs : une erreur
Bilan à J+5
Pour terminer ce long post, je tiens à remercier tous les gens qui m’ont écrit avant, pendant et après cette course. C’est la course qui a suscité le plus d’engouement et je vous remercie pour le soutien. On ressent bien le côté très populaire de l’UTMB en 2025. Petite pensée pour les bénévoles sans qui rien n’est possible, comme d’habitude. Bisou au podologue qui s’est occupé de mes pieds à Courmayeur.
Pendant la Tarawera, j’ai dit que ça serait mon dernier 100 miles. Pendant cet UTMB, j’ai répété que ça serait mon dernier 100 miles. Peu importe l’entrainement, ce genre de course est très douloureuse. Pour autant, à J+5 l’envie revient et je pense que je recommencerai. Les émotions vécues sur de l’ultra longue distance sont incomparables. Le fait de tout oublier du quotidien pour se focaliser sur une objectif aussi simple et élémentaire que d’atteindre la ligne d’arrivée est grisant. En général, je ne prends même pas la peine de regarder le paysage. Je suis là pour l’introspection et la performance. C’est pour cela que je prends autant de plaisir sur un 100km le long du canal que sur les chemins époustouflants autour du Mont-Blanc.
Aussi, sans l’assistance et les copains sur place, je n’aurais pas participé à cette course. D’ailleurs, c’est valable pour la plupart des événements. J’ai déjà du l’écrire sur ce blog et je persiste : Happiness is only real when shared. À bientôt les copains !

Si tu as des questions ou des remarques, n’hésite pas à laisser un commentaire !