SE sENTIR BLASÉ EN VOYAGE
le paradoxe
« Oh t’as trop de chance de voyager, profites-en ! » – Le genre de message qu’on reçoit régulièrement de la part de proches. Alors qu’on devrait profiter de chaque activités, on ressent parfois de la lassitude à force d’enchainer les expériences. On peut alors se sentir coupable d’être blasé et de ne pas vivre à fond. Aujourd’hui, focus sur la lassitude en voyage.
«
Temps de lecture estimé : 7 minutes.
La semaine passée, je parlais de mes récents choix de vie dans l’article : Vivre comme un retraité avant 30 ans. Beaucoup de monde a pu s’identifier et j’ai reçu beaucoup de messages d’amis ayant un point de vue similaire. On m’a aussi fait remarquer qu’il serait bien de mentionner le côté négatif de ce mode de vie. Ainsi, je vais vous parler de mon état d’esprit et les différentes phases par lesquelles je passe pendant un long voyage.
Blasé, blasée // adjectif et nom
(personnes) Dont les sensations, les émotions sont émoussées, qui n’éprouve plus de plaisir à rien. ➙ indifférent, insensible. Après tant de succès, elle est blasée.
Dictionnaire Le Robert
Un long voyage, à quoi ça ressemble ?
J’ai le sentiment que peu importe dans quelle destination je me rends, je passe par différentes phases très similaires. Je vais parler de mon cas même si j’ai l’intime conviction que beaucoup d’autres voyageurs passent par les mêmes phases.
Le départ : l’excitation
L’excitation du départ, la découverte de nouveaux lieux, des paysages différents, des rencontres avec des personnes de toutes origines. Les premières semaines d’un long voyage sont très excitantes et pour cause : TOUT est nouveau. On arrive dans des endroits inconnus. La communication est plus compliquée, spécialement si on est Français et que les langues étrangères ne sont pas notre fort. L’architecture est différente de ce qu’on connaît, la nourriture aussi. On doit s’adapter à ce nouvel environnement.
Et puis les semaines passent, on change de lieu tous les 2-3-5-7 jours. En chemin, on rencontre de nouvelles personnes. En général, ces gens ont un plan de voyage similaire au votre. Si vous êtes en Asie du Sud Est comme moi au moment où j’écris cet article, il y a de grandes chances que vos compères de voyages fassent la même boucle que vous, dans le sens horaire ou anti-horaire : Thaïlande, Laos, Vietnam, Cambodge, un saut à Bali puis aux Philippines.
La redondance : la lassitude
Dans chaque auberge où vous vous rendez, vous devez faire connaissance : prénom, âge, origine, activité professionnelle, plan de voyages, recommendations… Chaque rencontre commence toujours par les mêmes questions de base. Parfois c’est intéressant et on tombe sur des gens avec des anecdotes de fou à raconter, parfois on n’a pas la motivation de faire une nouvelle rencontre.
Anecdote
Très récemment, lors d’une journée de plongée sur un bateau au Vietnam, j’ai fait la rencontre d’une famille Italienne. Le papa, Federico, a la cinquantaine. Il est grand et svelte. Il m’apprend qu’il était joueur de basket professionnel en Italie dans sa jeunesse. Dans la conversation, il glisse qu’il était le coach du jeune Kobe Bryant quand son père Joe Bryant jouait en Italie. Kobe avait 13 ans, Federico 19 ans. Au passage, j’informe Federico que mon projet de voyage après l’Asie est d’aller vivre à Christchurch en Nouvelle-Zélande. Mon nouvel ami semble avoir le bras long, il s’avère qu’il a le numéro du coach de l’équipe professionnelle de basket de Christchurch !
Comme tout basketteur, je suis un grand fan de la légende Kobe. Rencontrer des gens avec des anecdotes comme celle de Federico, ça n’a pas de prix et ça fait partie des belles rencontres du voyage.
Au bout de quelques semaines, on se rend compte que toutes les meilleures recommendations et activités sont les mêmes à chaque destination : rando, point de vue, cascade, grotte, plage. L’excitation du début fait place à l’indifférence. On devient doucement blasé de faire des activités similaires encore et encore. On a besoin de nouveauté.
Ce sentiment est paradoxal : on vient à l’autre bout du monde pour vivre des expériences hors du commun mais assez vite on s’habitue. Alors qu’on est censé profiter de toutes les activités possibles et tirer profit de notre chance d’être ici, on se désintéresse.
Évolution de voyage : l’adaptation
Le voyage évolue. Pour ne plus avoir à faire de nouvelles rencontres quotidiennement, on reste un peu seul ou on se met à rester avec les mêmes personnes. Au lieu de partir chacun de son côté mais dans la même direction, on voyage à plusieurs. Le besoin social est comblé sans avoir à passer par les mêmes conversations banales des premières rencontres.
Alors qu’au début on voulait faire toutes les meilleures activités d’un lieu, on commence à faire le tri. Au lieu de faire une rando de 3h, on dort 3h de plus. Pour économiser quelques euros, on ne visite pas ces grottes. Une cascade de plus ? Je passe mon tour. Au lieu de tout faire, on choisit ses activités. Ce qu’on ne fait pas dans une ville, on le fera à la prochaine étape.
Anecdote
J’ai décidé de visiter le Vietnam en allant du Nord au Sud. Ainsi, la première activité que j’ai faite était le Ha Giang loop, annoncé comme une des meilleures si ce n’est LA MEILLEURE chose à faire au Vietnam. Effectivement, c’était plutôt exceptionnel et unique.
Ainsi, j’ai décidé de ne pas me rendre dans 2 autres destinations très populaires que sont Ha Long Bay et Ninh Binh. Je n’étais plus intéressé par les activités extérieures et les paysages. J’en avais pris plein les yeux pendant 4 jours et le reste m’aurait semblé fade.
Pour me rassurer, je me dis que je pourrais toujours revenir dans quelques années si j’ai le sentiment d’avoir manqué quelque chose d’exceptionnel.
On ne peut pas aller partout dans tous les cas, donc il faut accepter de ne pas tout voir. Quand on prend cet état d’esprit, on se retire beaucoup de pression.
Tourisme de masse
En venant en Asie du Sud-Est, je savais qu’il s’agissait d’une destination populaire. Cependant, je ne m’attendais pas à autant de monde. Je me suis aussi demandé pourquoi on se retrouvait tous au même endroit. J’ai posé la question à mes contacts sur Linkedin
Il s’avère d’après ce sondage que la plupart des gens choisissent leur destination de voyage en fonction des recommandations de leurs proches. Au final, ça donne des villes prises d’assaut par certaines nationalités. Par exemple, Ayia Napa à Chypre et Koh Tao en Thaïlande sont populaires chez les jeunes British. Pour les Russes, c’est plutôt Nha Trang au Vietnam ou Koh Phangan en Thaïlande. Ce sont des exemples de mon expérience et on ne peut évidemment pas généraliser si simplement mais il y a tout de même des tendances.
Anecdote
Depuis mes 18 ans, je rêvais de me rendre sur l’île de Maya Bay, dans la région de Krabi en Thaïlande. Cette petite île a été tellement prise d’assaut par les touristes depuis les 20 dernières années qu’elle a du être fermée en 2018 pour préserver son écosystème. Après le Covid, elle a été partiellement rouverte au public mais il est maintenant impossible de s’y baigner. Pour y accéder, il faut payer et on peut uniquement y aller la journée. Il y a 10 ans, on pouvait carrément dormir sur la plage.
En voyant la quantité de touristes débarquer sur le petit ponton, j’ai décidé de ne pas y aller. Voilà, 10 années à penser à un endroit très précis pour finalement passer à côté, littéralement. La région de Krabi et les îles alentours m’ont vraiment laissé un goût amer.
En me rendant dans la ville de Göreme en Turquie en 2022, j’avais eu le même sentiment. Dans cette petite ville de Cappadoce, tous les bâtiments ont un intérêt pour le tourisme. On trouve des hôtels, des restaurants, des magasins de souvenirs, des agences de voyage. Alors j’y suis allé, j’ai apprécié le séjour, mais je me suis quand même questionné sur la manière dont nous voyageons.
Le confort : une solution
Voyager avec un petit sac à dos et dormir dans des dortoirs en permanence peut avoir 2 effets : on peut se sentir libre et apprécier la simplicité ou on peut se rappeler à quel point le confort à la maison était agréable. À la longue, c’est surtout le second sentiment que j’éprouve en général.
Une des solutions que certains voyageurs que je rencontre utilisent, c’est de voyager doucement voire même de s’installer à un endroit pendant plusieurs semaines. Ainsi, on apprend à connaitre l’endroit et on se recrée des habitudes.
Avant de partir en Asie, je savais que j’allais finir par me lasser un peu, c’est pour ça que j’avais prévu de partir m’installer en Nouvelle-Zélande après 4 mois de voyage. Ce choix a 2 effets positifs : recréer des habitudes pour recharger les batteries et aussi de pouvoir travailler pour recharger le compte en banque.
Conclusion
Oui, les voyageurs sont plutôt privilégiés. Oui, la plupart du temps, l’expérience est exceptionnelle. Mais pour avoir des hauts, est-ce qu’il ne faut pas aussi vivre des bas ? Le meilleur moyen d’après moi de limiter l’impact psychologique, c’est de savoir que les moments de doute font partie du voyage. Au final, on se retire de la pression en acceptant de ne pas tout faire. Il vaut mieux faire moins mais mieux que plus mais à toute vitesse.
Si tu as des questions ou des remarques, n’hésite pas à laisser un commentaire !