100 kM DE LA SOMME 2024
récit de course
Le 12 octobre 2024 ont eu lieu les 100 km de la Somme, support des championnats de France, à Amiens en Picardie. Pour mes débuts sur la distance, je vise gros avec un chrono de 7h en tête. C’est une mission « UN CHRONO OU L’HÔPITAL » !
Temps de lecture estimé : 10 minutes.
Le projet
Pour cette grande première pour moi sur la distance, j’avais de grandes ambitions. D’après mes recherches, je pouvais approcher un chrono de 7h à condition d’avoir toutes les planètes alignées. Je ne m’inscris quasiment jamais à une course sans un objectif ambitieux (utopique).
Après 3 mois d’une préparation sérieuse, j’avais confiance en mes capacités, il n’y avait plus qu’à tenter le coup. Seul point noir au tableau, je ressens une légère gêne à l’aine au côté gauche depuis 10 jours. La douleur se manifeste même sur des footings lents de moins de 10km et j’ai peur qu’elle me pénalise pendant la course.
Rappel sur les allures et vitesses
Certains coureurs s’expriment en utilisant la vitesse déplacement (distance/temps, généralement km/h) alors que d’autres comme moi parlent en allure (temps/distance généralement min/km). C’est la même chose, il faut juste faire la conversion. Pour faciliter la lecture et apporter de la perspective à cet article, voici un rappel de mathématiques :
- 10 km en 1h : 10 km/h ou 6’00 min/km
- Marathon (42,195 km) en 4h : 10,6 km/h ou 5’41 min/km
- Marathon (42,195 km) en 3h : 14,1 km/h ou 4’16 min/km
- Mon record sur marathon = 2h32 : 16,7 km/h ou 3’36 min/km
- Record du monde actuel de 100km = 6h05’35 soit 16,4 km/h ou 3’39/km
- Mon objectif : 100 km en 7h soit 14,3 km/h ou 4’12 min/km
En running, on peut déterminer grossièrement ses objectifs en se basant sur des résultats passés. Avec un temps sur 5km, on peut prédire le chrono sur 10km. Avec un 10, on peut estimer un chrono sur semi-marathon voire marathon. Malheureusement, plus la distance augmente, moins la corrélation est précise.
Arrivé à 100km, c’est le profil du coureur qui entre en jeu : certaines personnes ont des VMA très hautes mais peu d’endurance alors que d’autres peuvent courir 20h sans s’arrêter à vitesse réduite. Voilà pour le contexte.
La logistique de course
Pour cet événement, j’ai la chance d’être accompagné à vélo par mes proches. Le rôle principal de l’assistance est le soutien moral. Ensuite, il y a la possibilité de mettre tous les ravitaillements personnels sur le vélo pour avoir ses propres produits à porter de main en permanence sans avoir à les porter soi-même. Cela évite de s’arrêter sur les zones de ravitaillement de l’organisation.
J’ai établi un plan nutritionnel de course simple en amont : 70g de glucides par heure, sous forme de gel et de boisson Décathlon/Maurten. Nous avons découpé le parcours en plusieurs sections et mes amis vont se relayer sur 4 différentes sections. De 20 à 50km, puis de 50 à 70km, un autre 70 à 90km et enfin les 10 derniers kilomètres. En se relayant, cela permet à tout le monde d’être actif et impliqué dans la course.
Maintenant que la préparation des ravitos et la découpe du parcours sont effectuées, il n’y a plus qu’à appliquer le plan de course pour atteindre le meilleur chrono possible.
Départ ambitieux
Arrivé sous l’arche de départ au tout dernier moment, je prends le départ sur la 5ème ligne et avec le GPS de la montre pas tout à fait chargé. Sur les 2 premiers kilomètres, je ne pense qu’à me placer devant assez vite sans me cramer. Je ne peux pas faire confiance à l’allure instantanée affichée sur ma montre alors je cours aux sensations. Avec un départ à 6h30 du matin, il fait encore nuit noire et c’est assez difficile d’estimer le rythme. Au bout de 6-7km, un groupe se forme. Nous engageons une discussion avec Didier.
Mon compère de course me demande mes chronos sur marathon et semi. Il a 61 ans et il est parti avec des objectifs bien plus grands que les miens : il vise le record DU MONDE des plus de 60 ans en 7h29’35. Avec son record au marathon en 2h51 (4’03/km), je me dis qu’il est suicidaire de partir dans un groupe à allure 4’15.
Didier est un compétiteur et c’est de bonne guerre. Notre groupe de 6 arrive au demi-tour des 10,4 km au bout de 44 minutes (4’13/km), tout va bien. Nous sommes classés entre la 9ème et la 14ème position. Didier mène toujours la danse malgré quelques problèmes gastriques indéniables. Entre 10 et 20km, le petit groupe s’étire alors que le jour se lève. Après un peu moins de 1h30 de course, me voilà de retour au stade de départ où je retrouve Noe qui va m’accompagner à vélo jusqu’au 50ème kilomètre.
Surpris par le froid
Je continue de suivre mon compère Didier qui fait le yo-yo en alternant les pauses pipi et les accélérations toutes les 10 minutes. (DIDIER, si tu lis cet article un jour, FAIS VÉRIFIER TA PROSTATE). Nous maintenons une allure moyenne de 4’12 min/km mais je commence à avoir mal au ventre autour de 30km. Je ne sais pas si c’est le froid, le fait de parler un peu en courant ou l’excès de glucide mais ça m’énerve.
J’atteins le marathon en 2h58 comme prévu et je garde en tête le kilomètre 50 où je vais retrouver mes amis Mickaël et Thomas. Avec ce mal de ventre, je réduis un peu mon alimentation. Au passage, mes cuisses puis mes mollets commencent à me rappeler qu’un marathon, ce n’est pas rien. Juste après que Mickaël ait pris la relève de Noe à vélo, nous passons les 50km en 3h32. Je continue à faire le rigolo dans les vidéos envoyées à ceux qui me suivent mais je sens le désastre se profiler à l’horizon.
Décrochage
Alors que j’ai arrêté de parler et que j’ai réduis les glucides, mon mal de ventre ne passe pas. J’ai une barre en haut des abdos, sous les côtes flottantes. Arrivé au demi-tour du km 60, je laisse tomber mon objectif de 7h pour de bon quand je m’arrête pour boire au ravitaillement.
Les coureurs d’ultra-fond le savent, la meilleure manière de résister dans le temps est de continuer à s’alimenter quoiqu’il arrive mais c’est plus facile à dire qu’à faire. De ce fait, en arrêtant de manger, j’ai signé ma fin.
De 55km à 65, mon allure a chuté de 4’20 à 5’10/km. Je ne pense qu’à une chose : les toilettes de chantier du ravito au 65. Mes jambes tremblent tellement que c’est toute la cabine en plastique qui bouge. La fin de course va être longue… Après 3 minutes de pause, je repars à 5’20 en visualisant le km 71 où Noe et Thomas attendent sagement. Au passage, une petite pluie s’est invitée, j’ai froid et ça n’aide en rien pour ma douleur au ventre.
Prendre son mal en patience
En arrivant au 71ème, je change de chaussures pour passer des plaques carbones de chez On Running à l’amorti des Nike Invincible (+1000km et toujours là). Maintenant que le chrono n’a plus d’importance, autant privilégier le confort pour protéger mes pieds.
Thomas enfourche le vélo et nous voilà repartis. Je m’efforce de rester autour de l’allure 5’45/km pour limiter la casse. J’ai un peu honte d’avoir fait le beau sur internet depuis 6 mois pour décrocher dès la mi-course comme un gros blaireau.
Nous continuons notre progression alors que je me fais reprendre par les autres concurrents au compte goutte. Toto me lit les messages d’encouragement sur les réseaux sociaux et me conseille de manger pour aborder la fin de course. Quand nous arrivons au ravito du km 85, nous tombons sur celui qui était parti premier, loin devant la concurrence, sur les bases du record de France en 6h10. Il nous raconte qu’il a explosé à 70km et qu’il termine la course en marchant. Ca me rappelle que les défaillances arrivent à tout le monde.
L’égo
Au bout de 6h46 de course, Mickaël posté au km 88 nous annonce qu’il aperçoit Didier. Je suis environ 2 km derrière lui au km 86. Il me reste 14 kilomètres jusqu’à la fin, si je me bouge les fesses, je peux aller le chercher ainsi qu’un chrono sous les 8h. Avec un peu de chance, il fait encore pipi toutes les 10 minutes. Mon égo prend le dessus et je me souviens de sa petite phrase : « je ne vais pas me laisser faire face à un jeunot de 29 ans ». À nous 2 !
Noe reprend le vélo pour la fin de course et je me mets en chasse de Didier, 61 ans. Après avoir passé 30 kilomètres à courir entre 5’20 et 5’45, j’accélère à 4’45min/km, le couteau entre les dents. Mon ventre va mieux, la température extérieure a légèrement augmenté au fil des heures, la pluie a cessé : let’s go.
Je fais de mon mieux pour doser mon effort car il ne s’agit pas de partir trop vite et de coincer sur les 3 derniers kilomètres. Je respire aussi fort que possible avec ma plus belle foulée aérienne. À cette allure, je grappille pas mal de places. Je suis à deux doigts de lâcher une petite larme quand Thomas m’écrit que mes parents sont à l’arrivée. Au loin, celui que je pense être ma cible avec un tshirt orange n’est pas la bonne target. Qu’à cela ne tienne, je le double quand même et je ne lâche rien. S’il faut doubler Didier dans les derniers 100m, je le ferai ! Le chrono tourne, je refais mes calculs de tête en permanence car je sais que le sub 8h va se jouer à quelques secondes près !
L’arrivée
Je suis à 4’30 sur les 5 derniers kilomètres et j’ai l’impression d’être à 3’30 ! Les jambes sont lourdes après toutes ces heures de course non-stop. En entrant dans le stade, il me reste un tour à faire et j’enclenche mon meilleur 400m à la Hicham El Guerrouj (les connaisseurs apprécieront la référence).
Quand je passe la ligne d’arrivée, l’horloge officielle annonce 8h00’03 alors que ma montre affiche 8h00’00, je préfère ça. Mon compère Didier est déjà là depuis presque 10 minutes, le bougre. Malheureusement pour lui, il repart avec un record de France au lieu d’un record du Monde. Je me suis officiellement fait tracer par un homme qui pourrait être mon père. Il avait raison d’être confiant.
Pour ma part, j’espérais bien mieux mais je suis content d’avoir limité la casse. Certains autres coureurs ont explosé bien plus fort que moi. Presque 1 an jour pour jour après l’Ultra-marathon de Taupo en Nouvelle-Zélande, le bilan est identique : je mets 1h de plus que l’objectif initial.
Bilan de la course
Avec un peu de recul, je peux dresser le bilan de mes erreurs pour mieux faire sur la prochaine course :
1 – OBJECTIF : L’objectif de 7h était un peu trop ambitieux pour une première expérience sur la distance. J’aurais du viser 7h30 dès le début pour resister plus longtemps. Cela étant dit, je préfère échouer sur 7h en essayant que réussir 7h30 sans trop de difficultés.
2 – CONCENTRATION : Une fois dans le dur après le demi-tour à 60km, j’aurais du mettre des écouteurs avec de la musique pour m’isoler. J’en ai vite eu ras le bol d’entendre les « bravo » par centaine de la part des autres participants et leurs accompagnateurs qui venaient dans le sens opposé.
3 – ALIMENTATION : Il aurait fallu réussir à manger et boire un peu plus pour limiter la casse. La prochaine fois, je prendrai plus d’options avec moi pour réduire la sensation de dégoût des produits.
Le mot de la fin
Comme pour chaque course assez importante, j’ai reçu un max de messages d’encouragement et de félicitations de toutes parts. Alors merci à tous de suivre ces aventures. La course à pied poussée à l’extrême n’a aucun intérêt. Evidemment, je recommencerai car j’en ai besoin pour booster mon égo démesuré.
Merci à tous, y compris les organisateurs de l’évènement et tous les bénévoles ! Bravo à Didier et à la prochaine !
Si tu as des questions ou des remarques, n’hésite pas à laisser un commentaire !